Yasutaka
Tsutsui est né en 1934 à Osaka. C’est l’une des voix majeures de la
science-fiction, du fantastique japonais et de la « métafiction ».
Pour l’info, il est aussi occasionnellement acteur. Il a débuté au milieu des
années 1960 par des textes comme La Traversée du temps, une histoire culte de la littérature de
jeunesse japonaise, qui a été adapté plusieurs fois à l’écran et notamment en
film d’animation en 2006 par Mamoru Hosoda.
Son
œuvre imposante a reçut de nombreux
prix, dont le prix Izumi Kyôka et le prix Tanizaki, tout deux des prix de
science-fiction, en 1981 et en 1987 et le prix Kawabata en 1989, équivalent au
prix Goncourt. Tsutsui a été élevé au rang de Chevalier des Arts et des Lettres
par la France en 1997 qui est une reconnaissance pour avoir contribué à la
diffusion des arts et de la littérature.
Il
a à son actif plus d’une centaine de romans et de nouvelles dont Paprika,
adapté en dessin animé par Satoshi Kon en 2006 qui a connu un succès
international. Cependant, seulement quatre de ses livres ont été traduits en
français : Les Cours particuliers du professeur Tadano, Le
Censeur des rêves, La Traversée du
temps, et Hell que je vais vous
présenter ici.
Paru
en septembre 2013 aux éditions Wombat, dans la collection Iwazaru, le livre
original a été écrit 10 ans plus tôt. Il
a été traduit en français grâce au programme de publication de littérature
japonaise. En fait, le « Bunkachô », l’agence japonaise des affaires
culturelles a initié depuis 2002 un vaste projet de promotion de la littérature
japonaise, le JLPP (Japanese Literature Publishing Project). L’objectif du JLPP
est de soutenir financièrement la traduction et la publication d’œuvres
majeures de la littérature japonaise moderne et contemporaine, globalement
après l’ère Meiji, en anglais, français, allemand et russe.
Dans ce
roman, l’auteur met en scène
Nobuteru, Takeshi et Yûzô, des amis lorsqu'ils étaient jeunes. Très vite
leur chemin s'est séparé après un banal accident, alors qu’ils jouaient dans la
cour de l’école, Takeshi fut bousculé et se cassa la jambe. Il restera boiteux
toute sa vie et, de honte, ses camarades ne lui parlèrent plus. La guerre
finira de les séparer définitivement.
Puis on se concentre sur
Nobuteru qui se fait vieux. Il se demande ce que sont devenus ses anciens amis.
Yûzô est devenu un yakuza, mafieux japonais, mais il s’est fait assassiné pour avoir pénétré sur
le territoire d’un clan rival, Takeshi est un chef d’entreprise qui séduit des
femmes mariées, peut-être pour se venger des hommes qui n'ont pas son handicap
et pour tenter de trouver un but à sa vie, mais il s’est fait écrasé par une
voiture après avoir eut une relation sexuelle avec une femme mariée. Cependant
Nobuteru ignore que ces deux là sont morts.
Quand Takeshi se réveille, après
sa mort, il retrouve toute sa mobilité. Il est en enfer, dans une ville
similaire à celle où il a vécu, une ville indéterminée où les fantômes détachés
de toute émotion revivent leurs existences sans colère ni haine, les mensonges,
les trahisons et les erreurs. Il y retrouve des connaissances, des gens qu’il a
bien connus ou tout simplement croisés.
Par exemple, Takeshi y retrouve
Izumi, un ancien cadre dans son entreprise, mort dans un détournement d’avion.
Izumi apprend ici que son patron a eut une aventure avec sa femme, Sachiko,
sans aucune émotion. Parce que comme le dit l’auteur, « en Enfer, il
suffisait de fixer les gens du regard pour capter des moments de leur vie. Ce
n’était pas une bulle explicative qui apparaissait au-dessus de leur tête,
comme dans un manga, ni de la télépathie. La vérité surgissait d’elle-même
comme une vision en arrière-plan de son propre esprit». Il y retrouvera Yûzô
aussi. L’occasion de revenir sur leur vie passée, leurs erreurs.
Il est aussi question de
plusieurs personnages secondaires liés d’une manière ou d’une autre aux trois
personnages principaux : un mari trompé, un acteur de kabuki, un subalterne de
Yuzo, un couple devenu clochard suite aux magouilles de Takeshi et morts de
froid, une starlette.
Vers la fin, on retourne sur
Nobuteru, 85 ans, qui perd la tête et qui revoit ses amis d’enfance à travers
ces petits enfants, sa femme à travers l’épouse de son fils et sa mère à
travers sa femme. Pour finir, l’auteur nous questionne sur ce qu’est l’enfer,
on comprend mieux que c’est plus un purgatoire. Comment est-il régit ?
Comment choisi-t-on ceux qui y rentrent et ceux qui sortent et qu’y a-t-il après ?
Toutes ces questions n’ont bien sûr pas de réponses pour que le lecteur se
fasse sa propre opinion.
C'est un livre
sans chapitre, avec des histoires très décousues les une des autres et pourtant
qui semblent liées. Ce roman polyphonique est construit sur un jeu de flash-back
de différents personnages qui s’entrecroisent. Pour faire plus simple, on passe
d’une histoire à une autre sans qu’il n’y est de raison apparentes et très
brusquement. On est en train de lire une phrase et puis la phrase d’après on
est dans une autre histoire. Les personnages et les époques se mélangent, les
repères s’effacent et le flou contribue au mélange réalité / monde parallèle
Des
fois, c’est gênant parce qu’on ne se rend pas compte que l’auteur a changé
d’histoire et c’est en voyant que le nom du personnage est différent de celui
de l’histoire précédente qu’on se dit que ça a changé. Il passe du
coq à l'âne sans nous y préparer et fait des sauts dans le temps déstabilisant.
Du
coup, on doit relire ce qu’on vient de lire et même des fois retourner quelques
pages en arrière pour retrouver de quoi parler l’histoire. J’ai donc trouvé le
roman un peu trop décousu.
Cependant, le thème du roman est une
question que l’humanité se pose tout le temps. Qu’y a-t-il après la mort ?
Ici, l’auteur nous montre qu’il y a un enfer, un lieu aseptisé où
l'on ne peut ressentir ni peur, ni colère, ni haine, ce qui crée une atmosphère
étrange et irréelle. On peut raconter sa mort sans que ça nous touche ou parler
posément avec l'homme qui a provoqué notre mort, plus rien n’a d’importance. Cet
enfer est assez éloigné des représentations biblique et mythologique. Pas de
diable, pas de châtiments mais une ville fantôme où chacun y
retrouve des lieux et des personnes connus. Un lieu étrange dans une sorte
d’espace-temps parallèle où les époques se télescopent. C’est pourquoi on peut
se poser la question, est-ce vraiment « l’enfer » que nous montre
l’auteur ou une sorte de purgatoire avant l’Au-delà ? Ont-ils
juste baptisé ce lieu ainsi, faute de mieux ? L'auteur ne répond à aucune
de ces questions, il les laisse au lecteur lors d'une fin particulièrement
mystérieuse.
Ensuite,
on est mêlé entre fiction et réalité et quelques fois on ne sait pas si ce qu’il
se passe est réel ou non. Nobuteru aperçoit des silhouettes de gens qu’il sait
morts avec certitude. On peut aussi voir cet enfer lorsque l’on dort. C’est le
cas de Sachiko qui rêve que Takeshi, son amant, lui fait l’amour alors que son
mari, Izumi, rentrent dans la chambre. Cependant on sait que les deux hommes
sont morts. Elle se réveille, et pourtant Takeshi est toujours là. Alors elle
lui demande si elle est morte parce que ce n’est ni un rêve, ni la réalité mais
celui-ci lui dit que non, elle ne l’est pas mais chaque nuit ils se
retrouveront pour refaire la même scène. Il explique qu’en enfer, le temps
n’est pas une constante. On peut remonter dans le passé mais aussi visualiser
l’avenir.
Pour
conclure, j’ai bien aimé lire ce roman car il offre une autre interprétation de
l’enfer et parce que je trouvé original de la part de l’auteur ce détachement
des personnages qui sont dénués de sentiments et qui finalement ne ressentent
rien, ne craignent plus la mort comme auparavant, c’est une sorte de libération
pour eux. Cependant, les histoires qui sont trop décousues les unes des autres
m’ont rendu la lecture assez difficile. Cela pourrait ressembler à un
brouillon, l’auteur notant ce qui lui passe par la tête et ensuite il
reconstruira dans l’ordre les histoires, mais je pense qu’il a voulu le mettre
en place comme dans le roman pour montrer cette idée d’enfer, ici c’est peut
être un enfer de lire ?